mercredi 25 novembre 2015

Homélie du card. Vingt-Trois sur le Christ-Roi

Homélie du card. Vingt-Trois
Frères et Sœurs,
La discussion qui s’établit entre Pilate et Jésus au sujet de la royauté nous éclaire sur les difficultés, les hésitations ou les réticences que nous pouvons éprouver à célébrer Jésus comme Roi de l’univers. Si nous entendons le titre « royal » dans son acception de pouvoir politique, de domination du monde, nous passons à côté de la véritable signification, car Jésus nous dit : « ma royauté n’est pas de ce monde » (Jn 18,36). Ce serait donc nous laisser emporter par une tentation qui a parcouru la vie de l’Église depuis les disciples d’Emmaüs qui attendaient le rétablissement du royaume d’Israël, jusqu’aux formes modernes de volonté de maîtriser les sociétés par la force publique de la foi. Le Christ n’est pas un roi à la manière des rois de ce monde. Son Église n’est pas une armée pour rétablir sa royauté sur la terre. Ses disciples - que nous essayons d’être en le suivant - n’ont pas pour ambition de prendre le pouvoir. La manifestation la plus évidente de la royauté du Christ, c’est Jésus sur la croix, dépouillé de toute-puissance quand il a renoncé à tout pouvoir et s’est remis entièrement à la miséricorde de son Père.
Cependant, l’Église nous invite à célébrer Jésus Roi de l’univers. Essayons de comprendre à quoi nous sommes appelés en célébrant cette fête du Christ Roi au terme de l’année liturgique. Nous sommes invités à reprendre conscience de la place centrale et plénière du Christ par rapport à la totalité de l’univers. Il est l’alpha et l’oméga. Celui qui était au commencement et celui qui sera à la fin. Du commencement de la création à la fin de l’histoire humaine, c’est lui le pôle de convergence de la réalité. C’est lui qui récapitule toutes choses en lui-même pour les offrir au Père. Cette place centrale du Christ, nous invite à regarder le monde dans lequel nous vivons d’une façon originale. Le Christ n’est pas la caution morale de quelque projet que ce soit. Il est le cœur de toute l’histoire des hommes et il rassemble l’humanité entière.
La tenue de la COP21 peut nous paraître bien loin de cette vision christocentrique sur le monde. Pourtant, cette vision du Christ qui recueille l’univers en lui-même doit affiner notre regard sur cet événement, ou du moins nous alerter pour ne pas nous laisser emporter par deux tentations fort répandues sans pour autant être justes.
La première tentation, c’est de rêver un univers idyllique parce qu’on en aurait extrait l’humanité. C’est le paradis terrestre sans les hommes. C’est l’écologie contre l’humanité, autrement dit une vision de l’être humain comme un intrus et un destructeur. C’est penser que le monde irait mieux si les hommes n’y vivaient pas. Certes, je caricature… Mais réfléchissez combien on nous montre souvent et on nous explique les méfaits de l’activité humaine sur le monde ! Peut-être que c’est utile de nous montrer ces agressions à l’égard du monde pour éveiller notre responsabilité et nous aider à prendre conscience que nous avons une responsabilité réelle sur le fonctionnement du monde, mais on ne pourra sauver le monde sans l’humanité !
La deuxième tentation qui nous guette tout autant, c’est celle d’une écologie partielle. On s’est déjà beaucoup mobilisé au cours des années passées, on va encore se mobiliser beaucoup pour tenter d’obtenir une amélioration de la manière d’utiliser les ressources de notre terre, mais, sans jamais dire et pourtant avec l’idée sous-jacente que surtout, s’il faut aboutir à des résultats positifs, c’est pour sauvegarder notre mode de vie, c’est pour garantir que notre prospérité pourra continuer.
A l’égard de ces deux tentations, le Pape François, dans son encyclique Laudato Si’, nous invite à porter un regard critique. Il n’y a pas d’écologie partielle. L’écologie est un projet de vie global qui doit toucher tous les secteurs de l’existence humaine en vue d’atteindre une meilleure vie pour le plus grand nombre. L’écologie n’est pas un luxe décoratif réservé aux sociétés développées, c’est une question de vie et de mort. C’est une question de vie et de mort pour laquelle nous sommes appelés à réviser nos manières de vivre. On ne peut pas vouloir une écologie globale, universelle et juste en continuant d’exploiter les ressources naturelles du monde pour le profit d’une proportion très faible de l’humanité.
Notre foi au Christ nous mobilise dans notre responsabilité à l’égard de la « maison commune » nous dit le Pape François, parce qu’elle nous oblige à prendre en compte non seulement nos affaires, nos intérêts, nos espérances, nos idéologies, mais aussi à prendre en compte la totalité de l’univers dont le Christ est le centre et qu’il conduit vers la plénitude en Dieu.
Frères et sœurs, nous prierons avec ferveur pour que cet événement qui aura certainement une grande portée médiatique, touche les cœurs. Qu’il aide chacun et chacune des habitants de ce monde à revoir comment il use ou abuse du monde, comment il entre dans une véritable conception du partage des richesses ou comment il se barricade pour protéger ses privilèges, comment il entre dans la véritable action de grâce pour tout ce que Dieu a donné pour la vie de l’homme.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

Message du pape François aux Evêques de l'Allemange

Message du pape François aux Evêques de l'Allemange
Chers confrères,
Je suis heureux de pouvoir vous saluer ici, au Vatican, à l’occasion de votre visite ad Limina. Le pèlerinage sur les tombes des Apôtres est un moment important dans la vie de tous les évêques. Il signifie un renouvellement du lien avec l’Église universelle, qui avance à travers l’espace et le temps en tant que peuple de Dieu en chemin, apportant fidèlement le patrimoine de la foi au long des siècles et à tous les peuples. Je remercie de tout cœur le président de la Conférence épiscopale d’Allemagne, le cardinal Reinhard Marx, pour ses aimables paroles de salutations. Je vous dis à tous ma reconnaissance parce que vous m’aidez à assumer le ministère de Pierre par votre prière et par votre action dans les Églises particulières. Je vous remercie particulièrement pour le grand soutien que l’Église en Allemagne offre aux hommes dans le monde entier, à travers de nombreuses œuvres caritatives.
Nous vivons actuellement une époque exceptionnelle. Des centaines de milliers de réfugiés sont venus en Europe et se sont mis en marche en quête d’un refuge contre la guerre et la persécution. Les Églises chrétiennes et de nombreux citoyens individuels de votre pays apportent une aide immense pour accueillir ces personnes en leur offrant une assistance et une proximité humaine. Dans l’esprit du Christ, nous voulons continuer de faire face au défi de ce grand nombre de personnes en détresse. En même temps, nous soutenons toutes les initiatives humanitaires pour faire en sorte que les conditions de vie dans leurs pays d’origine deviennent plus supportables.
Les communautés catholiques en Allemagne sont très différentes entre l’est et l’ouest, mais aussi entre le nord et le sud. Partout, l’Église est engagée avec professionnalisme dans le secteur social et caritatif et elle est aussi très active dans le domaine scolaire. Il faut s’assurer que soit soigné le profil catholique dans ces institutions ; c’est ainsi qu’elles sont un facteur positif, et qu’il ne faut pas sous-estimer, pour la construction d’une société vivable.
D’autre part, on observe, en particulier dans les régions de tradition catholique, une très forte baisse de la participation à la messe dominicale, ainsi qu’à la vie sacramentelle. Là où, dans les années soixante, partout, presque tous les fidèles participaient tous les dimanches à la sainte messe, aujourd’hui, ils sont souvent moins de dix pour cent. On s’approche de moins en moins des sacrements. Le sacrement de la pénitence a souvent disparu. De moins en moins de catholiques reçoivent la Confirmation ou contractent un mariage catholique. Le nombre des vocations au ministère sacerdotal et à la vie consacrée a nettement diminué. En considérant ces faits, on peut vraiment parler d’une érosion de la foi catholique en Allemagne.
Que pouvons-nous faire ? Avant tout, il faut surmonter la résignation qui paralyse. Il n’est certainement pas possible de reconstruire sur les vestiges des « belles années passées » ce qui existait hier.
Mais nous pouvons nous laisser inspirer par la vie des premiers chrétiens. Il suffit de penser à Priscille et Aquila, ces fidèles collaborateurs de saint Paul. Ils ont témoignés en tant que couple marié, par leurs paroles convaincantes (cf. Ac 18,26), mais surtout par leur vie, que la vérité fondée sur l’amour du Christ pour son Église est vraiment digne de foi. Ils ont ouvert leur maison pour annoncer l’Évangile et ont puisé dans la Parole de Dieu la force pour leur mission. L’exemple de ces « bénévoles » peut nous faire réfléchir, étant donné la tendance croissante à s’institutionnaliser.
On inaugure sans cesse de nouvelles structures pour lesquelles les fidèles sont finalement absents. Il s’agit d’une nouvelle forme de pélagianisme qui nous pousse à mettre notre confiance dans les structures administratives, dans les organisations parfaites. Au lieu d’aider, une centralisation excessive complique la vie de l’Église et sa dynamique missionnaire (cf. Evangelii gaudium, 32). L’Église n’est pas un système fermé qui tourne toujours autour des mêmes questions et interrogations. L’Église est vivante, elle se présente aux hommes dans leur réalité, elle sait inquiéter, elle sait animer. Elle a un visage qui n’est pas rigide, elle a un corps qui bouge, se développe et éprouve des sentiments : elle est le Corps de Jésus-Christ.
L’impératif actuel est la conversion pastorale, c’est-à-dire faire en sorte que « les structures de l’Église deviennent toutes plus missionnaires, que la pastorale ordinaire, dans toutes ses instances, soit plus expansive et ouverte, qu’elle mette les acteurs de la pastorale dans une attitude constante de « sortie » et favorise ainsi la réponse positive de tous ceux à qui Jésus offre son amitié » (Evangelii gaudium, 27). Certes, les conditions dans la société d’aujourd’hui ne sont pas du tout favorables. Une certaine mondanité prévaut. Cette mondanité déforme les âmes, suffoque la conscience de la réalité : une personne mondaine vit dans un monde artificiel qu’elle se construit elle-même. C’est comme si elle s’entourait de verres obscurcis pour ne pas voir dehors. Elle est difficile à rejoindre.
D’autre part, la foi nous dit que c’est Dieu qui agit en premier. Cette certitude nous conduit, en premier, à la prière. Prions pour les hommes et les femmes de nos villes, de nos diocèses et prions aussi pour nous-mêmes, afin que Dieu nous envoie un rayon de la charité divine à travers nos verres obscurcis, en touchant les cœurs pour qu’ils comprennent son message. Nous devons être au milieu des gens avec l’ardeur de ceux qui ont, les premiers, accueilli l’Évangile. Et « chaque fois que nous cherchons à revenir à la source pour récupérer la fraîcheur originale de l’Évangile, surgissent de nouvelles voies, des méthodes créatives, d’autres formes d’expression, des signes plus éloquents, des paroles chargées de sens renouvelé pour le monde d’aujourd’hui.
En réalité, toute action évangélisatrice authentique est toujours « nouvelle » (Evangelii gaudium, 11). Ainsi peuvent s’ouvrir de nouvelles voies et formes de catéchèse pour aider les jeunes et les familles à faire une redécouverte authentique et joyeuse de la foi commune de l’Église.
Dans ce contexte de nouvelle évangélisation, il est indispensable que l’évêque mène sa charge avec diligence en tant que maître de la foi – de la foi transmise et vécue dans la vivante communion de l’Église universelle – dans les multiples domaines de son ministère pastoral. Comme un père prévenant, l’évêque accompagnera les Facultés de théologie en aidant les enseignants à redécouvrir la grande portée ecclésiale de leur mission. La fidélité à l’Église et au magistère ne contredit pas la liberté académique, mais exige une attitude humble de service des dons de Dieu. Sentir avec l’Église (« sentire cum Ecclesia »), voilà ce qui doit distinguer de façon particulière ceux qui éduquent et forment les nouvelles générations.
En outre, la présence des Facultés de théologie dans les instituts publics de formation est une grande occasion de faire avancer le dialogue avec la société. Utilisez bien aussi l’Université catholique d’Eichstätt avec sa Faculté de théologie et ses différents départements scientifiques. Étant la seule université catholique de votre pays, cet institut est d’une grande valeur pour toute l’Allemagne et il serait donc souhaitable que toute la Conférence épiscopale fasse un effort judicieux pour renforcer son importance suprarégionale et promouvoir les échanges interdisciplinaires sur les questions actuelles et futures dans l’esprit de l’Évangile.
En ce qui concerne ensuite les communautés paroissiales, où l’on expérimente et vit la foi davantage, l’évêque doit avoir particulièrement à cœur la vie sacramentelle. Je voudrais souligner seulement deux points : la confession et l’eucharistie. Le Jubilé extraordinaire de la miséricorde, désormais imminent, offre l’occasion de faire redécouvrir le sacrement de la pénitence et de la réconciliation. La confession est le lieu où l’on reçoit en cadeau le pardon et la miséricorde de Dieu. C’est dans la confession que commencent la transformation de tout fidèle et la réforme de l’Église. Je suis convaincu que l’on accordera une plus grande attention à ce sacrement, si important pour le renouveau spirituel, dans les projets pastoraux des diocèses et des paroisses pendant l’Année sainte, et même après. Il est tout aussi nécessaire de souligner toujours le lien intime entre l’eucharistie et le sacerdoce. Les plans pastoraux qui n’attribuent pas une juste importance aux prêtres - dans leur ministère de gouverner, d’enseigner et de sanctifier -, en vue de la construction de l’Eglise et de la vie sacramentelle, sont, d’expérience, voués à l’échec.
La précieuse collaboration de fidèles laïcs, surtout là où l’on manque de vocations, ne peut pas devenir un substitut au ministère sacerdotal et encore moins le faire carrément passer pour une simple « option ». Sans prêtre, il n’y a pas d’eucharistie. Et la pastorale vocationnelle commence avec un désir ardent d’avoir des prêtres, dans le cœur des fidèles.
Enfin, une tâche de l’évêque qui n’est jamais suffisamment appréciée est son engagement en faveur de la vie. L’Église ne doit jamais se lasser d’être l’avocat de la vie ni faire de pas en arrière lorsqu’elle annonce que la vie humaine doit être protégée de manière inconditionnelle du moment de sa conception jusqu’à la mort naturelle. Nous ne pouvons ici jamais faire de compromis sans devenir, nous aussi, coupables de la culture du déchet, malheureusement largement répandue. Comme elles sont grandes, les blessures que notre société doit subir à cause du rejet des plus faibles et de ceux qui sont sans défense – la vie à naître, tout comme les personnes âgées et les malades ! Nous en porterons tous, à la fin, les conséquences douloureuses.
Chers confrères, j’espère que vos rencontres avec la Curie romaine, ces jours-ci, pourront illuminer le chemin de vos Églises particulières dans les prochaines années, vous aidant à toujours mieux redécouvrir votre grand patrimoine spirituel et pastoral. Ainsi, vous pourrez mener à bien avec confiance votre coopération si estimée à la mission de l’Église universelle.
Je vous demande de continuer à prier pour moi, afin qu’avec l’aide de Dieu, je puisse accomplir mon ministère pétrinien. De même, je vous confie à l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie, des apôtres Pierre et Paul ainsi qu’à celle de tous les bienheureux et saints de votre terre.
De tout cœur, je vous donne la bénédiction apostolique, ainsi qu’aux fidèles de vos diocèses.